you are not easily rescued (aksell)

septembre 2007. le jeune aleksander a dix ans, il fait sa rentrée au collège. l'été vient de se finir et il a enfin trouvé sa place dans une famille d'accueil. grâce à cela, il pense pouvoir passer inaperçu, se fondre dans la masse, ressembler à n'importe quel enfant qui l'entoure. après dix ans passé en orphelinat, c'est pour lui une chance de connaître un bonheur différent. malheureusement, les enfants sont cruels et les nouvelles se répandent vite. il retrouve donc sa place : le paria. il n'a jamais compris cela, avec sa bouille d'ange et son sourire éclatant (quand on lui donne l'occasion de sourire du moins), n'importe qui tomberait sous son charme. mais non, paraît-il que ça le rend répugnant et infréquentable de ne pas avoir de parents bien à lui.  

novembre 2007. deux mois maintenant qu'il s'est habitué aux railleries, aux moqueries, aux sobriquets plus irrespectueux les uns que les autres (dieu que les enfants sont cruels). mais il a pu développer une passion, un échappatoire : le dessin. quand il rentre de l'école, aleksander jette son sac dans un coin de sa chambre, repoussant ses devoirs à "plus tard, quand j'aurais le temps" et prends place à son bureau pour se plonger dans une nouvelle oeuvre. il s'est bien intégré dans sa nouvelle famille, avec une petite fille plus jeune que lui de quelques années mais il reste toujours assez silencieux et discret. ce jour-là, alors que les premières heures de la journée ont été un nouveau calvaire pour lui, il se trouve assis sur un banc à la récréation. on se rapproche du début de l'hiver, le vent devient déjà un peu glacial aux heures les plus matinales mais il ne s'en soucie guère, il préserve sa paix comme ça. du moins, jusqu'à ce qu'une jeune blonde d'environ son âge viennent prendre place à ses côtés sur le banc. "tu es aksell, c'est bien ça ?" qu'elle lui demande de sa voix douce, accompagné d'un sourire éblouissant. alors il la reprend sur son prénom, inlassablement. mais rien n'y fait, elle continue à l'appeler "aksell" à tout va, elle prend bien la peine de prononcer son prénom dans chacune de ses questions, chacune de ses affirmations. les premiers temps, cela agace le jeune homme, il ne fait que la reprendre. mais très vite, après les quatre années de collège qu'ils ont passé ensemble, collé l'un à l'autre, il s'y est fait et il se présente même lui même ainsi : aksell wheeler

mai 2016. sa mère adoptive passe la tête par l’entrebâillement de la porte de sa chambre et lui indique l'enveloppe qu'elle tient dans sa main. une réponse de l'université. aksell le sait, bien que la licence qu'il a demandé ne soit pas hautement sélective, elle demande un certain talent pour l'intégrer et il a peur de ne pas l'avoir. alors, il prend son temps pour ouvrir l'enveloppe, millimètre par millimètre. le moment où il doit sortir la lettre de son nid douillet est pour lui le pire surtout que sa mère adoptive garde sur lui un regard plein d'attentes. c'est trop rapide et pas assez à la fois pour lui. il y est, il déplie le papier et les mots "Monsieur aleksander wheeler, nous avons le plaisir de vous informer.." et il ne continue pas. sa réserve est oubliée et il brise le silence pesant de la chambre par un cri de joie inattendu. cette joie qu'il contient en lui depuis maintenant dix-neuf ans, il la laisse s'exprimer parce qu'il a l'impression d'avoir une bonne nouvelle pour la première fois de sa vie. il va intégrer l'université d'art dont il rêvait tellement, découvrir une indépendance financière grâce à une bourse et, peut-être, découvrira-t-il un monde où les gens ne se soucient pas de savoir qui sont vos parents.

janvier 2019. les résultats du tirage au sort doivent être annoncé en ce début de mois pour un départ en février. une croisière. aksell s'est dit qu'avec un peu de chance, ça serait la sienne (de chance), qu'il pourrait s'évader de new-york pendant ses vacances scolaires. l'année 2018 a été pour lui une épreuve. tant bien que mal, il a réussit à retrouver les personnes qui étaient responsables de sa venue sur terre. mais les retrouvailles qu'il avait imaginé toute sa vie : lui leur pardonnant cet abandon. eux, heureux de retrouver le fils qui leur avait tant manqué.. fut tout autre. ses parents avaient divorcé et sa mère avait prit le large dieu seul sait où. ne restait que son père, alcoolique, sûrement violent, et qui l'avait rejeté une fois de plus en le trouvant sur le pas de sa porte. la vie étudiante de aksell n'avait jamais été aussi mouvementée que depuis ces "retrouvailles" amères. il enchaînait soirées sur soirées, mais rien ne lui semblait assez fort pour se vider la tête. new-york, qu'il appréciait tant normalement, était devenu une ville trop bruyante, étouffante. et surtout, il se sentait seul. physiquement, il était entouré : des potes de beuveries, quelques bonnes connaissances lorsqu'il voulait consommer quelque chose de plus fort. mais personne sur qui se reposer, personne qui était près de lui pour ramasser le verre des bouteilles qu'il faisait échouer lamentablement contre le mur. personne pour le calmer lors de crises de larmes incontrôlées indignes d'un jeune adulte de presque vingt-deux ans. aucune oreille pour l'écouter. seul face à son carnet de dessin, il avait du mal à affronter la vie. puis ce tirage au sort, pour cette croisière. "pourquoi pas?" s'était-il dit. cela lui permettrait d'échapper à l'horreur de son quotidien. personne ne semblait comprendre qui il était vraiment, en dehors du fait qu'il n'avait jamais eu de parents. ironique de voir que l'on peut accomplir tellement de choses sur cette terre et que l'on vous juge pour la seule que vous n'avez pas commis et donc vous êtes victimes. mais alors, le soulagement. son nom, là, dans le tirage au sort. son ticket gagnant, sa porte de sortie. son échappatoire.